J2-1 ris! Ce barbarisme a longtemps tourné en boucle dans l’esprit de Thomas Ruyant. Pour les néophytes, rappelons qu’il s’agit de la combinaison de voilure, entre la grand voile de VULNERABLE, réduite au premier ris, et son foc d’avant, le J2, belle voile très plate de plus de 100 M2 montée sur enrouleur.
Cet ensemble constitue la panoplie idéale pour performer face à un « range » de vent très vaste, entre 12 et 27 noeuds environ, c’est à dire les conditions de vent majoritairement rencontrées entre le large Brésilien, où évoluent les 6 « énervés » en lutte pour la 4ème place, et l’arrivée. Thomas a accepté ce verdict du sort. Il se sait condamné à ne plus pouvoir lutter à armes égales dans ce combat au plus haut niveau face à des Beyou (Charal), Goodchild (VULNERABLE), Lunven (Holcim-PRB), Herrmann (Malizia), Meilhat (Biotherm) et Mettraux (Teamwork Team SNEF), tous favoris au départ de ce Vendée Globe, et tous ultra motivés pour le gain de cet accessit. Toute déception avalée, le Dunkerquois redouble d’énergie et d’imagination pour désormais composer du mieux possible avec les conditions aléatoires du moment et trouver, parmi les 7 voiles qui lui restent, la combinaison la plus efficace pour remonter en direction de l’équateur. Il devrait en terminer aujourd’hui avec cet étrange phénomène de petit temps aléatoire qui baigne le cap Frio et l’entrée de la baie de Rio de Janeiro. Une zone anticyclonique que quatre de ses adversaires ont choisi de contourner par l’Ouest et les rivages Brésiliens, tandis que deux autres, Paul Meilhat et Nico Lunven faisaient le « tour de la paroisse » par l’Est, une route plus longue mais plus ventée. Avantage ce matin aux « occidentaux », Jérémie Beyou et Sam Goodchild, qui rétrogradaient au pointage du matin Thomas Ruyant à la 6ème place. Ce dernier a pourtant mieux progressé que ses rivaux de l’Est cette nuit et évolue dorénavant dans ces flux de secteur Nord Nord Est annonciateurs des alizés. Au près serré, Thomas devrait allonger la foulée aujourd’hui vers l’équateur, en s’appuyant soit sur son J3, petite voile d’avant, soit sur le FRAC, cette voile plus grande et un peu trop creuse face au vent. Il va surtout s’appuyer sur son mental de vainqueur, qui refusera jusqu’au bout d’abdiquer, et qui vendra chèrement le gain de cette nouvelle régate entamée par les postulants au 4ème fauteuil. Quand la vulnérabilité est une force !
A noter que l’entrée dans le Top 10 est désormais sérieusement convoitée par Benjamin Dutreux (Guyot Environnement), revenu à 315 milles de Nico Lunven.
Thomas Ruyant, au téléphone :
Rebondir!
« Il faut surmonter la déception de la perte du J 2 pour me battre pour la suite. Ce sera compliqué. Je suis sous J0, la plus grande voile pour cette zone de transition. Mais quand on va sortir de cette zone difficile où on est, on sera au près dans du vent medium et il faudra que je trouve des moyens pour avancer car il me manquera la voile du temps. La remontée jusqu’à l’équateur puis l’alizé de Nord Est, c’est la voile qui me manque, ce J2 perdu au large de l’Uruguay. J’ai eu le temps de digérer et j’essaie de rebondir. C’est un nouveau départ. Une situation que j’ai déjà vécue, deux fois cette année et aussi en 2020. Mes poursuivants reviennent par derrière. L’histoire se répète. »
Redémarrer!
« Mon choix de route a beaucoup évolué car les prévisions changent beaucoup. J’aurai dû traverser cette zone il y a longtemps sans la perte de ma voile. Je voyais bien l’option Est mais j’ai changé mon fusil d’épaule, en partant plus Nord, pour marquer aussi Jérémie et Sam. Difficile de savoir qui s’en sortira le mieux. J’ai été arrêté toute la journée d’hier. Je redémarre un peu. Le vent n’est pas orienté là où je l’attendais. Il y aura plus de stabilité derrière cette zone de molle. »
Persévérer!
« J’ai tenté une réparation sur ce premier ris cassé dans le Pacifique, pour remplacer la boucle structurelle sur la Grand Voile, qui est cousue et intégrée à la construction de la voile. J’ai bataillé une dizaine d’heures pour réaliser une boucle, qui n‘a pas tenu. Je ne retenterai pas de recréer ce point d’écoute car cela prend du temps et cela ne tient pas. Je suis sans regret. Ma réparation a tenu 45 mn. Je vais naviguer GV haute ou GV 2 ris. C’es ce que je fais depuis la moitié du Pacifique. »
Imaginer!
« Je vais essayer le FRAC, qui est ancré juste au dessus du J2 et sur le bout dehors. C’es une voile assez creuse que je vais tester au près derrière cette zone sans vent. Je tiendrai le J0 un peu plus longtemps, et aussi le J3. Mais cela n’impactera pas mes choix de route. Sur la remontée, il y aura quelques bords à tirer mais après, ce sera tout droit dans le pot au noir, puis la trajectoire vers l’arrivée, sans choix de route spécifique Je vais jouer avec mes voiles pour trouver la meilleure configuration, sans pour autant changer de trajectoires. »
Apprendre!
« J’ai été surpris de la finesse des modèles sur la plus grande partie du Vendée Globe. Mais il y a des endroits comme cette zone du cap Frio ou au large de l’Uruguay, là où se forment les minimums dépressionnaires, où il y a des décalages dans les prévisions. La mini tornade qui m’a couté mon J2, je ne l’ai pas vue arriver. Ce n’était pas un temps à grains, juste une dep qui s’est enroulée très vite, entre 50 et 60 noeuds durant 2 heures. Cela me servira de leçon. Je n’ai pas pu réduire, car il aurait fallu rouler et laisser faseyer les voiles. On ne peut pas abattre non plus. C’était une situation de blocage, avec les voiles à poste et c’est le J2 qui s’est déchiré sur la longueur du guindant. Je n’ai pas pu abattre avant encore 1 heure. »